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Paul et Mike
1 janvier 2019

1979-2019 : LA PARENTHESE NEOLIBERALE EST CLOSE

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Voici un texte que Bruno Colmant vient de rédiger et qu'il soumet à la critique.

1979-2019 : LA PARENTHESE NEOLIBERALE EST CLOSE

Dans ce monde gyroscopique, les votes du Brexit et de l’élection de Trump à la présidence américaine sont des faits majeurs. Ils ne relèvent pas de tendances à la marge mais de discontinuités socio-politiques cruciales.  Ces deux votes sont d’ailleurs autant les symptômes que les aboutissements de prédispositions qui trouvent peut-être leur origine il y a quatre décennies.

Il y a deux générations, un nouvel ordre économique s’est idéologiquement imposé : le néolibéralisme. Ce terme désigne une version dérivée du libéralisme, que certains assimilent au paroxysme de la logique libérale. Il a apporté des innovations spectaculaires entraînant une croissance économique extraordinaire. Sa naissance coïncida avec l’orientation politique menée par Margaret Thatcher (1925-2013, Première ministre de 1979 à 1990) au Royaume-Uni et par Ronald Reagan (1911-2004, Président de 1981 à 1989) aux États-Unis, à la suite du désastre économique qui confronta le monde occidental, dans les années soixante-dix, à une vague d’inflation et à un chômage structurel de masse. Ce courant néolibéral abolit les règles macro-prudentielles édictées dans les années trente et conduit à démanteler, en Europe, les grands monopoles d’Etat. Singulièrement, c’est au moment de la révolution néolibérale que la France choisi d’élire le premier président socialiste depuis le Front Populaire de 1936, mais cette parenthèse enchantée ne dura que deux ans.

Ce choc néolibéral entraîna une mutation sociologique titanesque en Europe, d’autant qu’il coïncida avec la chute du Mur, en 1989. L’Europe traditionnelle s’était longtemps appuyée sur un capitalisme rhénan né de l’ordolibéralisme allemand des années trente et fondé sur un dialogue social de qualité entre les différents acteurs de production et l’État. L'ordolibéralisme découle lui-même de l’Ecole économique de Fribourg selon laquelle l'État doit créer un cadre institutionnel propice à l’économie et maintenir un niveau sain de concurrence. L'État a donc un rôle d’« ordonnateur». Ce modèle économique se base sur l’idée d’une responsabilisation solidaire. 

Le néolibéralisme, d’essence protestante, fut donc un choc puissant puisque le modèle social-démocrate européen d’après-guerre s’était fondé sur la contribution conjointe des facteurs de production à la prospérité collective, partageant les richesses obtenues alors que le néolibéralisme modifie le sens du temps économique en empruntant ses richesses au futur dans une pulsion narcissique qui conduit à éreinter les facteurs de production. Le consensus de Washington de 1990, qui officialisa cette révolution avec le soutien du Fonds monétaire international, de la Banque Mondiale et du Trésor américain, consacra un modèle d’économie de marché. Les attributs du capital furent ainsi restaurés au détriment du travail. Selon la « théorie du choc », élaborée en 2007 par la journaliste Naomi Klein, tout événement fractal, à l’instar de cette vague néolibérale, devait être exploité pour dissoudre les structures collectives et solidaires.

Pendant quarante ans, le modèle néolibéral s’est amplifié, tirant profit de la mondialisation et de la récente digitalisation. Il s’est d’autant plus renforcé que ses contre-modèles (le maoïsme et le marxisme-léninisme) s’étaient effondrés. Nous avons cru que le multilatéralisme était le garant de la prospérité mondiale. Dans cet environnement, l’invention et le progrès sont fluides géographiquement. Dans les secteurs primaires et industriels, les hommes sont désormais mobiles. Dans le secteur tertiaire, qui emploie la majorité des populations occidentales, la société de la connaissance, fondée sur internet, est un relais à la mobilité réduite des hommes. La fluidité de l’information est un substitut à leurs déplacements géographiques : plutôt que de se déplacer pour effectuer un travail, l’homme peut en ramener l’information auprès de lui.

Aujourd’hui, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, c’est-à-dire ceux qui ont promu le néolibéralisme et l’économie de marche universelle, se referment. Ces deux pays veulent la mobilité des capitaux, mais plus celle du travail. Ils s’extraient donc du modèle qu’ils ont promu à leur bénéfice. Les autres pays, et certainement ceux d’Europe occidentale, sont indirectement vassalisés, tout étant dépendant des capitaux américains. Le néolibéralisme anglo-saxon deviendrait alors un néocolonianisme. Et les pays européens, désormais dépendants d’une expansion digitale émanant essentiellement des Etats-Unis, deviennent les pays colonisés. Nous avions confondu le néolibéralisme avec un ordre économique intemporel. Nous nous sommes trompés. Nous avons aussi confondu la mondialisation avec le temps des colonies. Ou, plus précisément, nous avions pensé coloniser d’autres pays en développement sans comprendre que l’Europe devenait la colonie des pays, dont les Etats-Unis, qui s’extraient de cette même mondialisation.

Il est donc possible que la parenthèse néolibérale dont la première césure fut les élections de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan se referme avec une autre césure : le référendum de David Cameron et l’élection de Donald Trump. Mais si le néolibéralisme s’est diffusé il y a quarante ans en provenance de ces deux pays, est-ce que le populisme qui a accompagné ces évolutions britannique et américaine pourrait se diffuser en Europe ? Evidemment et c’est le cas, mais sous la forme d’un rejet des Etats qui n’a pas protégé du néolibéralisme.

Depuis la crise de 2008, les inégalités salariales se sont incontestablement accrues. Le travail devient précaire et le pouvoir de négociation salariale des travailleurs est très limité dans une économie digitale et robotisée dans le secteur industriel et désormais dans l’économie des services. L’Europe est menacée d’un chômage endémique et structurel pour les personnes moins qualifiées alors que la mobilité des capitaux met en concurrence les systèmes sociaux.

L’odeur du monde a changé et elle pourrait devenir pestilentielle pour nos sociétés dont le modèle social-démocrate tempéré est désormais à risque. Nos démocraties, en partie épuisées par des forces politiques traditionnelles qui ne prennent pas la mesure des enjeux sociétaux et s’accommodant mal de la souveraineté du marché, s’inscrivent aujourd’hui dans des élans populistes qui rejettent un État traditionnel n’offrant pas de bouclier satisfaisant contre les dérives du marché mondialisé. Le populisme est l’expression d’un déclin démocratique qui va caractériser structurellement les prochaines décennies. Les Etats européens, s’ils ne s’ajustent pas, deviendront la première victime de la mondialisation néolibérale qu’ils ont pourtant, et à juste titre, favorisée en vue de notre prospérité. C’est là que se tient tout le paradoxe de ces élans du peuple : en menaçant les structures étatiques qui ont fait le lit d’un capitalisme anglo-saxon néolibéral désormais en contraction, le populisme s’attaque en réalité au premier acteur susceptible de le contrer. Les piliers de nos démocraties, ainsi affaiblis, disparaîtront dans les sables mouvants d’un ordre marchand entretenant l’individualisme et la peur collective. Au motif d’être la négation du néolibéralisme, le populisme en serait l’aboutissement. Ceci rappelle le conte de Georges Sand, dans lequel le héros, Gribouille, se jette dans l’étang pour échapper à la pluie.

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